Psychosociologie et sociologie de l’entreprise : Quels apports réciproques ?

La référence à un cadre disciplinaire est essentielle pour l’intervention dans les organisations : il permet de relier une méthode à une théorisation, mais aussi de se présenter au client et de s’affilier à un groupe de pairs. Pour autant, les praticiens savent aussi composer, inventer, hybrider pour répondre aux singularités des situations rencontrées sur le terrain. Qu’en est-il alors de la distinction entre psychosociologie et sociologie dans l’intervention ?

En tant qu’intervenants psychosociologues affiliés au Centre International de Formation Intervention Recherche en Psychosociologie (CIRFIP), nous avons proposé d’explorer et de mettre en débat cette question « à hauteur de pratique », en interrogeant ces « étiquettes disciplinaires » Sociologie/Psychosociologie à partir de ce qu’elles signifient pour nous en terme de pratique et de recherche, dans nos parcours et choix d’orientation, en quoi elle contribue à nos pratiques d’intervention, et comment nous les investissons pour nous donner une identité professionnelle.

L’atelier a débuté par une présentation de l’association CIRFIP, puis les spécificités de la psychosociologie et de la sociologie d’intervention ont été abordées à travers les points de vue et présentation des intervenants. Des questions et témoignages des personnes présentes ont permis d’aborder un certain nombre de thèmes qui sont repris synthétiquement ci-dessous. Un dernier temps a été consacré à ce que chacun peut trouver dans les associations professionnelles comme l’APSE ou le CIRFIP.

Présentations

Le Centre International de Recherche, de Formation et d’Intervention en Psychosociologie réunit des praticiens, des chercheurs et des universitaires engagés dans l’analyse et l’évolution des dynamiques sociales en jeu dans les groupes et les organisations, dans les différents champs de la pratique sociale.

David Faure est psychosociologue intervenant au Centre ESTA, enseignant à l’Université Paris-Nanterre et président du CIRFIP depuis juillet 2022.

Emilie Veyrat est psychosociologue intervenante, doctorante en sociologie clinique à l’Université Paris-Cité et membre du CIRFIP depuis 2022.

Le Centre international de recherche, formation et intervention psychosociologique : est une association professionnelle qui regroupe une centaine de membres. L’association est créée en juillet 1993, née d’un conflit à l’ARIP, qui est une association historique du développement de la psychosociologie en France. Les membres fondateurs du CIRFIP sont (entre autres) : Guy Palmade, Jean Dubost, Eugène Enriquez, Danielle Hans, …. Max Pagès et Jacques Ardoino ont rejoint l’association quelques années après. L’associatoin est au depart conçue comme une société savante autour d’une revue : la revue internationale de psychosociologie (aujourd’hui Nouvelle revue de psychosociologie), devenue une communauté de praticiens. Des formations proposées par le CIRFIP : dynamique de groupe, analyse de pratiques, recherche action participative, mais aussi conférences et colloques.

Psychosociologie et sociologie de l’action

Psychosociologie et sociologie de l’action : on trouve des « ancêtres » communs : Elton Mayo, Kurt Lewin… et un engagement similaire dans la question du « changement social » qui peut être travaillé avec les personnes et les collectifs sur différents terrains. Les deux approches sont concernées par la problématique de la demande, même si les différences apparaissent dans la réponse donnée.

Un point commun de l’expérience du sociologue praticien comme du psychosociologue est la liberté d’aller chercher des ressources qui vont permettre de traiter la question posée (ce qui relativise l’entrée par les disciplines académiques), et sans doute la visée d’émancipation qui peut être plus ou moins affirmée par les uns ou les autres.

Spécificités de la psychosociologie

  • Le groupe comme l’endroit du changement microsocial et de la prise en compte de l’expérience vécue
  • L’appui sur la psychanalyse et l’héritage de la thérapie de groupe qui n’est pas forcément aussi présent dans l’approche sociologique.
  • La distinction acteur / sujet (Blaise Olivier), avec une attention plus particulière au sujet « dans l’acteur ».
  • Une attention à la question des processus : ce qui se trame derrière les structures de l’organisation, ce qui fait les processus de changement (y compris la dimension inconsciente dans l’institution)
  • La grande souplesse sur les dispositifs et sur les aspects méthodologiques (place importante à l’analyse de la demande) : on construit de manière le plus ad hoc possible un dispositif avec des questions qui émergent au fur à mesure de la rencontre des différents acteurs/sujets de l’organisation
  • La reconnaissance de la complexité : dans une seule situation, se jouent des phénomènes individuels, interpersonnels, groupaux, organisationnels, et institutionnels
  • L’analyse de sa propre implication
  • La reconnaissance de la conflictualité dans les organisations, et l’intérêt pour le travail réel (depuis une dizaine d’années, grâce à la place prise par les sciences du travail dans la formation)

Mais au sein de “la” psychosociologie existent des courants differents, avec une référence plus ou moins forte à la psychanalyse, au changement dans les organisations et à l’efficience de l’organisation, ou encore aux mécanismes d’influence dans les groupes (psychologie sociale).


En résumé, ce qui caractériserait la démarche et l’approche clinique : l’analyse de la demande, le temps long, une posture qui essaye de se distancier de celle de l’expert de l’organisation

Sur les outils

  • L’approche psychosociologique n’est pas centrée sur des « outils », mais ils peuvent être utilisés dans un dispositif, en restant attentif à la visée.
  • Format privilégié de travail : les groupes (réels)
  • L’enjeu principal : comment on amène à la parole ? Les outils (jeux de rôle, analyse de situation, photo langage, …) peuvent faire médiation et permettre aux sujets de symboliser
  • On pourrait dire que l’outil principal c’est la subjectivité de l’intervenant et l’analyse de ses mouvements (projection, transfert, contre-transfert, …), comme un entraînement dans le discernement du ressenti
  • les groupes d’analyse de pratiques sont un dispositif souvent animé par des psychosociologues, dans les métiers de la relation et du travail social.

Discussion

La discussion finale sur le rapport aux associations professionnelles a fait émerger leur importance pour sortir de l’isolement vécu par certains intervenants, trouver des espaces de partage et d’étayage pour penser son métier. Plusieurs ont pu aussi partager leur expérience de leur engagement dans les instances associatives dans différents contextes. On y retrouve aussi les aléas de la vie de groupe et les difficultés de la coopération. Mais cela paraît un lieu nécessaire quand on ambitionne aussi d’intervenir pour « faire bouger le monde du travail ».